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Interview Sandy ALIBO, Fondatrice de SURF GHANA

Nous avons eu le plaisir de rencontrer Sandy Alibo, fondatrice de Surf Ghana; une ONG très créative; mettant en lumière les sports de glisse au Ghana.

PB: Bonjour Sandy, merci d’avoir accepté cette interview avec nous. Paperbagg Magazine est une plateforme média basée à Alger et on souhaitait faire découvrir à nos lecteurs ce qui se passe dans le reste de l’Afrique.

SA: Merci pour l’intérêt que le magazine porte au projet et pour ce qui se passe en Afrique de l’Ouest. Je t’avoue que c’est la première fois qu’un magazine d’Afrique du Nord s’intéresse à l’Afrique de l’Ouest. C’est vraiment quelque chose dont il faut parler, on est vraiment séparés. Ce qui se passe en Afrique de l’Ouest reste en Afrique de l’Ouest, ce qui se passe en Afrique de l’Est reste en Afrique de l’Est, pareil pour l’Afrique du Nord. C’est vrai qu’on communique pas trop.
Cet article est aussi un espoir de se connecter avec des skateurs algériens et pourquoi pas de collaborer sur des projets.

PB: C’est vrai qu’il y a une déconnexion entre les différentes parties de l’Afrique et c’est justement la raison pour laquelle on souhaite introduire, en particulier aux jeunes algériens,  ce qui se passe dans le reste de l’Afrique.

SA: Ça me fait énormément plaisir. La culture surf/skate au Maroc est vraiment géniale et plus développée qu’en Afrique de l’Ouest, on a beaucoup à apprendre. Par contre je n’ai pas d’idée sur ce qui se passe dans les autres pays limitrophes. Aucun skateur d’Afrique du Nord ne nous a contacté pour l’instant mais ça nous ferait plaisir de pouvoir mettre en lumière le projet et de créer une connexion avec cette communauté skate/surf.

PB: Ce qu’il faut savoir c’est que le tourisme extérieur de loisir algérien n’est pas aussi développé que les autres pays d’Afrique du Nord. Par contre, on peut voir grâce aux réseaux sociaux, en particulier via Instagram, un développement du tourisme intérieur des jeunes algériens et particulièrement une alliance entre sports de glisse et découverte des paysages algériens à travers la création de contenus.

SA: À la base j’ai créé cette NGO au Ghana mais je trouve intéressant de développer les interactions en Afrique avant même de se concentrer sur des interactions avec l’Europe ou les États Unis. C’est dommage de se dire qu’on est à même pas 1000 km ou 2000 km de distance et que l’on ne communique pas vraiment.

PB: Pourquoi as-tu choisi le Ghana ?

SA: Ce qu’il faut savoir c’est que je ne suis pas ghanéenne mais je suis d’origine martiniquaise. J’avais fait un voyage au Ghana il y a 4 ans et je suis tombée amoureuse du pays. J’ai pu me reconnecter avec l’Afrique. Le Ghana est un pays moderne, sûr, calme, stable depuis environ 70 ans. J’ai compris qu’il y a pas mal d’opportunités donc j’ai décidé de m’y installer. 

PB: Est-ce que tu peux nous parler du développement de l’ONG Surf Ghana ?

SA: Au départ, j’étais chargée de la stratégie sponsoring sportive d’une des sous marques 100% digitale d’Orange en France. J’ai développé les relations avec les sports de glisse donc j’ai rencontré des athlètes de surf, ski, snowboard, skate et assisté à pas mal d’évènements. Ils ont réussi à me transmettre leur passion donc j’ai commencé à faire du skate et du surf. J’ai décidé de visiter le Ghana avec des amies et m’immerger dans un nouvel environnement tout en pratiquant l’anglais. Je me suis naturellement connectée à la communauté surf et skate qui était petite et invisible. C’était difficile de trouver cette communauté et je me suis dit qu’il y a sûrement des personnes comme moi qui seraient intéressés par les trouver donc j’ai créé une page Instagram (@surfghana). Le but était de raconter l’histoire des skateurs et surfeurs au Ghana. J’ai reçu beaucoup de messages de personnes curieuses et qui demandaient des recommandations d’hôtels pour des surfs trips ou des contacts de professionnels du surf/skate au Ghana. La demande était tellement importante que j’ai décidé de créer une ONG : Surf Ghana.
L’idée est de rassembler tous les skateurs et surfeurs au Ghana et de développer un projet ensemble.
Dans un premier temps, j’ai voulu transmettre mes compétences dans l’industrie du skate et du surf et en particulier former les membres du collectif à organiser des événements et développer la notoriété des sports de glisse pour les ghanéens. La plupart des sites internet dédiés à ces sports représentent l’élite et ne sont pas adaptés au Ghana. Les ghanéens ne se sentent pas inclus et concernés. Il y a un souci de représentation. J’ai décidé de me concentrer sur la représentation noire dans les sports de glisse grâce à cette ONG.

En quatre ans, on a réussi à multiplier par 5 ou 6 le nombre de pratiquants des sports de glisse et en particulier grâce à notre communication Instagram. Les gens m’expliquent qu’ils n’auraient pas imaginé pouvoir faire ces activités. On se rend compte du manque de représentation à travers la publicité et les médias, ça a un vrai impact sur les communautés. Au départ je faisais des allers-retours avec la France, je collectais des équipements puis la demande au Ghana se développait: création d’évènements, participation à des festivals, démonstrations de skate, cours de skate/surf. J’avais besoin d’être sur place et de me consacrer à plein temps à ce projet donc je me suis installée au Ghana. Ce qui était dur quand j’ai lancé le projet c’est le manque d’aide financière.

Beaucoup d’ONG dégagent l’idée de “sauver l’Afrique” et les jeunes de la pauvreté. J’ai décidé de prendre une approche artistique, esthétique et représentative de la scène créative ghanéenne d’aujourd’hui. Mon but n’était pas de filmer des enfants de 5 ans pieds nus avec des vêtements sales. J’avais envie que les jeunes ghanéens pratiquent le skate comme à Londres, Miami, Paris. Ici les skateurs ont généralement entre 15 et 25 ans. Ils sont comme tous les autres jeunes, aiment aussi les marques comme Vans et Nike et sont hyper créatifs. On travaille sur de la création de contenus et d’événements. C’est comme ça qu’on se fait remarquer. Le collectif a développé son identité grâce à un langage et une narration différents.

PB: Est-ce que ça a été difficile pour toi, en tant qu’étrangère, de monter cette ONG au Ghana ?

SA: Tout le monde peut créer une ONG au Ghana. Il faut un fondateur et deux co-directeurs. On a aussi un trésorier et un secrétaire. C’est vrai que l’administration n’est pas aussi digitalisée qu’en France, il faut un peu de patience. Au Ghana il y a une vraie liberté de création même si la culture n’encourage pas habituellement la prise de risque. Ici 57% de la population a moins de 25 ans donc on a un soutien énorme malgré l’incompréhension potentielle d’autres générations. Les jeunes sont hyperconnectés notamment sur Instagram et sont passionnés par le skate. Aujourd’hui, l’ONG est très visible dans les médias et d’avoir obtenu les autorisations nécessaires pour pratiquer le skate librement dans des endroits fixes. Pour lancer ce type de projet il faut une force mentale et cerner des opportunités. Aussi, il ne faut pas oublier qu’être une femme dans le milieu du sport et particulièrement en Afrique est très challengeant.

PB: Quelle est la place de la femme dans l’ONG ?

SA: En tant que femme j’ai trouvé important de soutenir les filles dans ce projet. Le projet est ouvert à tous mais les filles ne venaient pas au début. L’année dernière j’ai lancé le “Skate Gal Club”, un club seulement pour les filles qui favorise la participation féminine. Les parents se sentent plus sereins de laisser leurs enfants entre 6 et 25 ans au club. Les mamans peuvent accompagner leur fille pour qu’elle puisse faire du skate. L’ambiance est positive et les filles peuvent discuter librement. Elles ont besoin de faire plus que du skate alors on cuisine, on fait des workshops, des activités artistiques. Le projet est bien perçu et depuis son lancement une dizaine de filles viennent tous les jours, d’autres viennent occasionnellement pour faire du skate.

Surf Ghana

PB: Quelles sont les valeurs les plus importantes transmises à travers ce projet ?

SA: Travailler ensemble. C’est une nouveauté car il ne faut pas oublier que les ghanéens ont des revenus faibles et ne peuvent pas toujours se permettre de partager. En Europe, les gens ont dépassé le stade d’assouvir leurs besoins primaires. Ils peuvent se nourrir et payer leurs factures, ont des loisirs, un peu de temps à consacrer aux autres et s’engagent dans des associations. En Afrique on a ne peut pas forcément satisfaire ses besoins primaires. L’estime de soi n’est pas la priorité donc les comportements et la vision de l’entraide et du partage sont différents.

L’idée n’est pas d’avoir uniquement un contrat par skateur avec une marque mais de créer des opportunités pour tout le monde ensemble et en même temps, c’est ce qui fait la différence.
Je considère les skateurs comme des êtres humains égaux, je les tag sur les posts Instagram, tout le monde peut les suivre, ils sont visibles. Quand on fait des réunions, il y a beaucoup d’interactions, c’est organique et amical. On échange aussi sur un groupe Whatsapp et je laisse la parole à la communauté. Les membres du collectif peuvent donner leur avis et développer leur confiance en soi. La confiance en soi est une force mentale qui permet aux jeunes de lancer leurs projets, de monter des marques. D’autres peuvent soumettre leurs idées et tenter des choses.

Aujourd’hui les membres du collectif ont un métier. Lorsque je les ai connus, certains étaient en marge.
Certains n’allaient pas à l’école, d’autres n’avaient pas d’emploi. Maintenant, ils développent leurs compétences, s’entraident, cherchent des projets et peuvent gagner leur vie tout en ayant des revenus additionnels en faisant des clips, des photoshoots, en donnant des cours de skate et en créant du contenu. Aujourd’hui, chaque mois les membres ont au moins cinq opportunités qui leur permettent de doubler leur rémunération tout en leur permettant d’avoir une approche différente du sport. Le collectif représente l’entraide, le soutien mutuel et une seconde famille. Les jeunes n’abordent pas forcément certains sujets avec leurs parents alors le collectif leur permet de partager leurs projets, leurs ambitions et leur stress. Ils peuvent partager des idées et les développer grâce à l’association. Par exemple, on leur apprend à utiliser des outils en ligne comme Google Drive, Pinterest, à créer des moodboards.

Surf Ghana

PB: Quel est l’impact du COVID-19 sur les mentalités au Ghana ?

SA: Cette pandémie est positive dans le sens où internet a été développé et tout est possible aujourd’hui. En Afrique, si tu n’as pas les moyens d’étudier à l’étranger, si tu n’as pas fait une grande école alors tu n’as pas de reconnaissance. Si tu veux réussir en Afrique alors tu dois étudier à l’étranger, particulièrement en Europe, quelques années et ensuite revenir. C’est un message transmis à travers les médias d’ailleurs.
Les mentalités sont en train d’évoluer et tout l’argent potentiellement dépensé dans des études en Europe pourrait être directement investi dans un projet en Afrique.
Les équipes de production basées à l’étranger qui ne peuvent pas se déplacer au Ghana à cause de la crise sanitaire ont des options aujourd’hui. Elles peuvent monter des équipes de production locales et diriger les projets grâce aux outils digitaux. Énormément de talents locaux pouvant créer de la valeur sans forcément être assistés par quelqu’un en Europe ou aux États Unis ont pu être révélés.

PB: Quelle direction souhaites-tu que le collectif prenne ?

SA: Je vois le collectif comme une agence. Tous les membres ont des compétences qu’ils peuvent mettre à profit des marques, d’évènements et d’autres ONG. Le but est de valoriser les sports de glisse. Aujourd’hui de grandes marques nous contactent pour des stratégies évènementielles autour de la culture urbaine. Je partage ces projets événementiels avec les jeunes et leur demande ce qu’ils imaginent. Par exemple, un membre voudra peindre une rampe de skate, d’autres voudront produire une rampe de skate sur mesure pour la marque, donner des cours de skate,  créer des t-shirts, dessiner. C’est assez nouveau pour les jeunes, ils apprennent à développer du contenu de marque sans forcément avoir besoin de faire un BAC+5.
On a travaillé avec les Nations Unies de cette manière. On a éduqué les jeunes autour de la culture du sport durant le World Food Day.
On fait tout nous-même, pour nous-même. C’est ce qui plaît d’ailleurs, on permet de révéler les compétences de tout le monde. Par exemple, une skateuse du collectif est devenue photographe en freelance. J’ai mis en relation un jeune skateur, Addy (@smile_with_addy sur Instagram), avec plusieurs boîtes de production en Afrique pour créer des films animés en 2D. Maintenant il a des contrats dans plusieurs pays. Je vois le collectif comme une agence de brand content dédiée aux sports de glisse qui gère également des infrastructures sportives. Pourquoi pas développer le tourisme durable consacré aux sports de glisse sur le long terme.
D’ailleurs on est en train de créer un skatepark qui sera géré par les membres de l’ONG pour donner des cours, gérer le café, le skateshop.

PB: Quelle collaboration avec SURF GHANA t’a le plus touchée ?

SA: La collaboration avec OFF WHITE et DAILY PAPER est une célébration car ce sont deux marques dont les co-fondateurs sont issus de la diaspora ghanéenne. Ils sont vraiment intéressés par le projet et ont une vision moderne et dynamique de l’Afrique. Trouver des marques avec la même ambition que nous et qui nous considèrent comme un nouveau modèle de développement est une fierté. C’est une collaboration forte car on a travaillé ensemble, les marques ont partagé leur vision marketing, leurs aspirations, on a vraiment échangé, on s’est sentis considérés et écoutés. On a créé le design de cette collaboration, les skateurs ont fait des moodboards, des recherches.
Ce projet “Freedom & Skate” en collaboration avec OFF WHITE et DAILY PAPER nous représente et fait référence à l’inscription “Freedom & Justice” sur l’Arche de l’Indépendance du Ghana.
C’est un symbole fort de l’indépendance du Ghana en 1957, première démocratie en Afrique et on a choisi de nommer le futur skatepark Freedom en référence. Pour cette collaboration les skateurs ont fait un photoshoot avec DAILY PAPER. L’échange avec les marques a été humble, respectueux, sincère. La collaboration a été sold out en une journée ce qui nous a permis de financer la moitié du projet, chose qui était difficile par le passé malgré nos campagnes de financement collaboratif.

Je remercie Virgil Abloh et Jefferson Osei, deux visionnaires à suivre, qui ont grandement contribué au projet.
Virgil Abloh soutient énormément de monde au quotidien et Jefferson Osei via DAILY PAPER représente l’Afrique dans sa globalité grâce à une belle histoire et de belles valeurs. DAILY PAPER est une des rares marques à s’être lancée dans la mise en place d’un pop up store en Afrique.
En Afrique on ne veut pas que des dons, on veut aussi être considérés par des investisseurs, des marques.
OFF WHITE et DAILY PAPER nous ont aidé à créer un produit qui s’est transformé en revenu à 100% en faveur du projet de l’association. Cette collaboration a eu du succès car les personnes impliquées ont compris qu’il y a un autre modèle de collaboration. D’autres entreprises ont des procédures beaucoup plus compliquées et strictes concernant l’appel d’offres de financement d’ONG. Par exemple OFF WHITE et DAILY PAPER nous suivent depuis plusieurs années et ont pu observer la consistance dans le développement de l’activité de Surf Ghana. On a développé une notoriété au Ghana et on est reconnus.
Se dire que grâce à ce projet, une infrastructure sportive sera créée par des jeunes, pour les jeunes par la voie privée, sans aide financière du gouvernement est impressionnant.

Surf Ghana

PB: As-tu un conseil à donner aux jeunes algériens qui aimeraient se lancer dans leur propre projet ?

SA: Il faut se connecter avec d’autres personnes, d’autres ONG. Ne pas hésiter à demander de l’aide et surtout via les réseaux sociaux. Aujourd’hui tout le monde est accessible, les réseaux sociaux sont simples et fluides. Par exemple, je reçois quotidiennement des messages de personnes ayant besoin de conseils pour des projets ou même pour des déplacements au Ghana. Je ne refuse jamais car moi aussi j’ai eu besoin d’aide. Il faut travailler dur et ne pas lâcher, poursuivre ses rêves et toujours demander de l’aide auprès de personnes sur place et à l’étranger aussi. Par exemple, aujourd’hui j’ai reçu un message d’un skateshop en Inde qui veut aider Surf Ghana. Tout le monde cherche des nouveaux modèles de fonctionnement pour les projets. Il faut taper à toutes les portes, ne pas se renfermer et communiquer.

D’ailleurs, ça serait un grand plaisir de collaborer avec des personnes d’Afrique du Nord; des marocains, des algériens, des tunisiens. On a déjà collaboré avec des sénégalais et c’était super.



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